Les grès à applications rouges à Sarreguemines
Une production très confidentielle de la faïencerie de Sarreguemines sera aujourd’hui notre propos. Il s’agit de pièces en grès de couleur brune rehaussées par des applications de couleur rouge brique tirant vers le orange. Cette technique de pâte sur pâte nous est connue à Sarreguemines depuis 1827. C’est en effet à l’Exposition de l’Art et de l’Industrie cette année là à Paris, que Paul Utzschneider présenta des grès fins agrémentés d’applications en relief de couleur différente de celle du fond. Ces décors en reliefs étaient moulés séparément, puis reportés sur la pièce à l’aide d’une pâte liquide, la barbotine. Ce produit s’inspire largement des grès fins créés par Josiah Wedgwood dans le dernier quart du XVIIIe siècle, les jasper ware. Les formes et les décors de Sarreguemines sont également empruntés à des produits anglais (1).
Paire de vases Médicis en grès fin mat marqué en creux 1AF. H-20 cm. Vers 1830.
Collection particulière.
Marque des vases Médicis
Cette production n’est que peu souvent identifiée par une marque de fabrique sarregueminoise. Les différentes pâtes et couleurs sont identifiées par un chiffre ou une lettre reporté en creux dans la pâte sous les objets (2).
Nous ne connaissons que deux pièces en grès à décor rouge rapporté sur fond brun. Ce sont deux vases, l’un de forme gourde aplatie à décor en applications de femmes à l’antique, de guirlandes, d’insectes et de végétaux, l’autre vase cornet à facettes, à décor en applications des « quatre saisons » et de frises végétales stylisées sur le haut du vase et sur le socle.
Vase gourde aplatie en grès fin. H-17,4 cm.
Si le processus de fabrication semble s’identifier à la production des « jasper ware sarregueminois », ces objets en diffèrent cependant par au moins trois éléments :
- Les formes ne sont point celles classiques, empire et restauration, utilisées dans les productions précédentes.
- La couleur des applications n’a pas été rencontrée précédemment et surtout ne figure pas dans le fascicule conservé au Musée de Sarreguemines, probablement rédigé par Paul Utzschneider, « Compositions de la faïencerie de Sarreguemines employées en 1829 » (3) où sont détaillées les composantes des différentes pâtes céramiques, émaux, couleurs… employés à la manufacture à cette époque.
- On note l’absence de lettres ou de chiffres identifiant la pâte, mais la présence d’une marque de fabrique en creux.
Vase cornet à facettes en grès fin. H-17,40 cm.
Pour tenter de dater cette production plusieurs éléments se doivent d’être pris en compte.
A l’exposition de Paris en 1834, Fabry et Utzschneider avaient exposé 246 articles de la faïencerie de Sarreguemines. Dans leur propos, Henri et Charles Hiegel, se basant sur les archives départementales (A. D. Moselle 266M), énumèrent les productions pâte sur pâte présentées lors de cette manifestation (4). L’objet de nos propos n’y figure pas.
Les cachets observés sous ces deux objets sont différents. La marque C03 a remplacé la marque C01, mais les deux ont probablement cohabité pendant une courte période. Une pièce portant la marque C01 a été déposée au Musée de Sèvres en 1835 (5). Selon le professeur Charles Bolender, la marque C03 peut avoir été utilisée dès 1834/1836 (6).
Des impératifs économiques imposèrent dès 1835 des changements dans les procédés de fabrication, corps et décors furent moulés en une seule fois. Dans les années 1840, l’évolution des goûts conduira à abandonner peu à peu les grès fins colorés qu’avait créés Paul Utzschneider (7).
Paul Utzschneider a élaboré une gamme impressionnante de produits, principalement des grès. Le jury de l’Exposition de 1834 en lui rendant hommage l’appela « le Wedgwood français ». Paul Utzschneider quitta la direction de la faïencerie en 1836. Il fut présent à la faïencerie pour conseiller son successeur, son gendre le baron Alexandre de Geiger, encore pendant deux années. Il est très probable que ces grès à applications rouges aient été créés à son initiative.
Rêvons un peu, en nous basant sur les informations évoquées prenons la liberté de proposer que ce furent peut être ses derniers travaux à la faïencerie, probablement vers 1835-1838.
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Bibliographie :
1) BENEDICK A., La faïencerie de Sarreguemines, Editions ABM, 2009, page 21.
2) Idem, page 97.
3) « Compositions de la faïencerie de Sarreguemines employées en 1829 », (manuscrit conservé au Musée de Sarreguemines).
4) HIEGEL H., HIEGEL Ch., La faïencerie de Sarreguemines de 1790 à 1838, Musée de Sarreguemines, Sarreguemines, 1993, page 63.
5) Association Sarreguemines Passions, Les marques de fabrique, Editions Sarreguemines Passions, Sarreguemines, non daté, page 47.
6) Idem, page 51.
7) DECKER E., « Les grès fins à relief de Sarreguemines », in Sarreguemines faïences, grès, porcelaine, Editions Les Amis du Musée et des Arts, Sarreguemines, 1997, page 9.
Crédit photographique – Yaara Benedick