Raymond Poincaré et le service Obernai
En août 1919, M. Raymond Poincaré, Président de la République Française rendait visite à la faïencerie de Sarreguemines. Après de longues années (1870-1918) les provinces perdues étaient redevenues françaises.
A l’occasion de cette visite la faïencerie lui offrit un service de table de 116 pièces portant le décor Obernai. Au dos de pratiquement toutes les pièces de ce service, entré il y a peu dans les collections du Musée de Sarreguemines (1), on peut lire :
Quel beau symbole que celui du chef de l’état entrant dans la faïencerie de Sarreguemines, dont le cœur était resté français pendant toute cette longue période d’annexion.
Rappelons, qu’en 1871 le directeur général, Alexandre de Geiger, quitta Sarreguemines et ses fonctions pour Paris pour ne pas perdre la nationalité française.
Son fils Paul de Geiger le remplaça de 1871 à 1914. Dans un hommage après son décès, rendu par Paul Wilmoth, cadre de la faïencerie parti à Paris en 1871 pour ne pas devenir allemand, on peut lire : « … il est resté dans cette fabrique qui l’avait vu naître. Il voulait y maintenir l’esprit, l’âme, le cœur de la France. Jusqu’à sa mort, en effet la langue française y régnait en maîtresse ; jusqu’à sa mort, aucune couleur allemande n’y a été arborée. Dès que Sarreguemines sera redevenu française nous irons sur sa tombe déposer la palme du souvenir et nous dirons ce que fut ce loyal Français à l’âme délivrée et aux sentiments généreux » (2).
Dans les succursales sarreguemineoises de Digoin (1877) et Vitry le François (1881) on embaucha de jeunes lorrains réfractaires au service militaire allemand, ainsi que des lorrains dont les enfants avaient rejoint les troupes françaises.
Les allemands se plaignaient de la francophilie de la faïencerie : on engageait fréquemment des employés spécialisés plutôt de langue française, la direction de l’usine, les contre-maîtres employaient le français (ou le dialecte) mais pas l’allemand, les commandements des sapeurs-pompiers et de la fanfare de l’usine étaient donnés en français, les allemands voyaient dans la « Casino », lieu culturel de la faïencerie, « un nid d’espions » et la faïencerie comme une entreprise « à caractère français »…
Le décor « Obernai » est né sous les coups de crayon du peintre alsacien Henri Loux dans les premières années du 20e siècle.
A la recherche de nouveaux décors, la faïencerie s’était adressée au cercle St Léonard. C’est dans ce petit hameau , niché dans les vignobles alsaciens, près d’Obernai, qu ‘est en train de se développer autour de Charles Spindler et bien d’autres artistes, une renaissance de la littérature et de l’art alsacien, une très riche et dynamique identité culturelle alsacienne.
Paul André Befort et Fernand Gastebois dans leur ouvrage présentant Henri Loux et son œuvre écrivent : « Dans cette situation où s’opposent esthétique allemande et française, les artistes alsaciens prennent conscience d’une possibilité culturelle nouvelle. Les peintres, dont le nombre augmente, se rassemblent et leur mouvement atteint une ampleur surprenante. Les thèmes du pays, son patrimoine, les histoires et les gens, son humour et ses poésies, ses costumes et ses coutumes sont évoqués dans leurs œuvres. « une nouvelle génération alsacienne se manifeste ne reniant pas la France absente, mais trop vivante pour s’enfermer dans une protestation stérile. » » (3)
C’est Gustave Stoskopf, dont Charles Spindler avait sollicité l’avis, qui proposera la candidature d’Henri Loux pour répondre à la demande de la faïencerie sarreguemineoise.
On dit d’Henri Loux qu’« Il a mis l’Alsace dans nos assiettes. »
Ce sont cette Alsace imagée et une faïencerie de Lorraine, deux régions liées par un même destin, qui se sont associées pour produire un service qui, un siècle plus tard, est toujours produit, apprécié, collectionné.
Porteur de symboles, il était presque naturel que ce soit ce décor qui ait été choisi pour être offert à la plus haute fonction de la patrie retrouvée.
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(1) Nous remercions le Musée de Sarreguemines pour la mise à disposition d’images.
(2) – HIEGEL H., HIEGEL Ch., La faïencerie de Sarreguemines de 1870 à 1918, Édition Musée de Sarreguemines, 1996, Page 27
(3) – BEFORT P.-A., GASTEBOIS F., Henri Loux – Images de l’Alsace heureuse, Édition La Nuée Bleue/DNA, Strasbourg 1994 (3e édition), page 63.